Je voulais te demander #1 : Finalement, t’es journaliste ou écrivain ?

Cette fois-ci c’est Noémie qui pose la question par mail, mais elle vient s’ajouter à la longue liste de celles et ceux qui souhaitent clarifier mon étiquette. Voici une réponse qui ne satisfera pas grand-monde.

Quand on lui demande ce qu’il fait dans la vie, l’écrivain est emmerdé. (Sauf s’il s’appelle Michel Houellebecq, mais est-ce que quelqu’un a récemment demandé à Michel Houellebecq ce qu’il faisait dans la vie ?) Les seuls écrivains pour qui la réponse est facile sont ceux à qui on ne posera pas la question. Alors, l’écrivain baisse les yeux, bafouille, au mieux répond qu’il écrit des livres (sans utiliser le mot écrivain), le plus souvent s’en sort par une pirouette. Il sait bien que financièrement il est beaucoup plus freelance dans la com qu’écrivain, et pourtant affectivement parlant il est beaucoup plus écrivain que freelance, ce qui le pousse à répondre : j’écris, et à côté je bosse dans la com.

Non pas que ce soit important, mais il y a des jours où le formulaire administratif demande à être rempli. Et comme les pointillés ne sont pas infinis, il faut bien choisir quoi écrire. Profession, demande le formulaire. Profession, deux points et un espace qui ne demande qu’à être comblé. Pour répondre il faut savoir : qui demande et ce qu’il entend par là.

Qui demande aide souvent à choisir rapidement. Quand c’est la commission de la carte de presse, je réponds journaliste, ce qui offre en vrac un avantage fiscal, l’entrée gratuite dans les stades et les musées, la fierté de faire partie de la même famille que Nathalie Saint-Cricq. Quand c’est l’organisme qui gère mes droits d’auteur, je réponds écrivain, ce qui me permet de continuer de toucher les droits d’auteurs susnommés et donc d’espérer pouvoir acheter un verre en terrasse parisienne ou un ticket de bus à Liverpool d’ici deux ou trois ans. Quand c’est mon voisin de manif qui porte une pancarte « médias = collabos, journalistes en prison », je réponds écrivain, parce que ma lâcheté est plus grande que mon syndrome de l’imposteur. Quand c’est Harris Interactive je réponds jongleur, c’est rigolo et ça fausse les chiffres de l’étude que Carrefour leur a achetée. C’est toujours ça de pris sur le grand capital.

Ce qu’il entend par là est souvent plus difficile à cerner car implicite. En cas de doute, on peut toujours se dire que le plus souvent, ce qu’il entend par là est : comment tu assures ta reproduction matérielle ? En clair : d’où vient l’argent que tu utilises au Monoprix de la rue Lecourbe pour acheter tes pistaches et ton houmous ? Auquel cas je suis beaucoup plus journaliste qu’écrivain. Il peut arriver cependant que ce qu’il entende par là soit : que fais-tu de ton temps ? Auquel cas je suis beaucoup plus écrivain que journaliste. Parce que quand même, mille heures pour écrire un livre, deux heures pour écrire un article. À moins que 2 soit désormais plus grand que 1000, que ça ait changé cette nuit et qu’on ne m’ait pas prévenu. L’année dernière au mariage d’un ami ce qu’entendait par là mon voisin de table était : par pitié donne nous un sujet de conversation parce que ce silence au milieu de l’ambiance festive qui nous entoure est beaucoup trop gênant. Auquel cas n’importe quelle réponse est appropriée.

Reste à savoir ce que je me dis le soir dans ma chambre. Reste à savoir ce que je dirais à l’enfant que j’étais si je trouvais une DeLorean qui m’emmenait devant ce beau brun aux yeux bleus de huit ans (je vous  jure, regardez les photos). À lui je ne pourrais pas mentir. Face à lui je ne pourrais pas tricher. La vérité, je crois, c’est que ça m’est égal. La vérité c’est que le lien entre tout ça est l’écriture, et que, ma foi, écrire des reportages ou des romans me procure autant de plaisir. La vérité c’est que l’étiquette m’importe peu et la légitimation institutionnelle encore moins. Je me moque de la carte de presse qu’une commission m’octroie sur dossier chaque année, comme je me moque du tampon d’écrivain – si on veut bien me l’accorder – déposé sur mon curriculum par quelques publications en maison d’édition.

J’écris des trucs, et j’aime ça. C’est ce que je dirais au beau brun aux yeux bleus de huit ans. Ne t’inquiète pas, ça va aller. Tu vas écrire des trucs, et tu vas aimer ça.

 


Souvent on vient me voir et on me dit : au fait, je voulais te demander un truc. On me pose des questions. Je me suis dit que les réponses pouvaient intéresser plusieurs personnes, alors je les ai mises ici. Je me suis dit aussi que ceux que ça n’intéresserait pas ne les liraient pas, et que du coup ça ne les dérangerait pas trop.
S’il vous reste des interrogations, on a mis des formulaires un peu partout sur le site, il ne faut pas hésiter à les utiliser.